Astroy ⌂ Thoughts alight, what can I do to make you listen?

L'avoir vue se payer des cours particuliers hier m'a touché en plein orgueil. Je traînais sans raison apparente dans le quartier, par simple besoin de prendre un bol d'air frais au lieu de lézarder comme le fait si bien la jeunesse geek américaine de la génération qui me suit d'une dizaine d'années. Occupée avec cette nouvelle tête à la patinoire du centre-ville, Astra se focalisait sur la voix et les gestes que lui inculquait l'autre blonde plus âgée qu'elle. Sur le moment, je n'ai pas compris. J'ai hésité à les rejoindre pour lui montrer que son petit manège ne m'échappait pas. Mais j'ai préféré rentrer, marmonnant un Don't tell, don't lie qui reste l'une de mes valeurs en communication quand je discute avec des personnes que j'apprécie. Avant même d'atteindre l'étage de mon appartement, je lui ai envoyé un texto en demandant à Astra de passer chez moi aujourd'hui. Simple. Interrogatif. Une chance sur deux qu'elle réponde par l'affirmative; et dans le cas contraire elle m'aurait sans doute proposé une autre date au cours de cette semaine. Au début, c'était différent, avec beaucoup de questions, ce besoin - surtout pour ses parents je pense - d'assurer une traçabilité de leur fille n'importe où qu'elle se rende. Depuis tout un temps, il y a moins à se justifier des moments qu'on se prend pour principalement discuter de notre passion commune, ou de se mater des films avec de la diététique bien grasse débordant du plus grand saladier dont je dispose.

Astra a confirmé son passage imminent, et je l'ai attendue de pied ferme jusqu'à lors. Un message me prévenant qu'elle serait là d'ici une poignée de minutes, et puis le carillon de ma sonnette qui résonne : la voilà. Je lui ouvre avec les salutations les plus sommaires. Il arrive qu'on s'affranchisse de se faire l'accolade ou la bise, se voyant souvent et par conséquent ne souhaitant pas attraper une cruelle monotonie. Mon chez moi est devenu son chez elle. Astra possède un double des clés pour quand elle désire passer, se poser ici, préférant le calme dont elle ne bénéficierait peut-être pas autant ailleurs. Par principe, elle s'annonce quand même, pour m'éviter l'infarctus si elle débarquait sans que je l'entende, affairé à la salle de bains, oubliant qu'elle peut se pointer à toute heure.

Aussitôt qu'elle franchit le pas de la porte, je me suis retourné pour refermer assez brutalement l'entrée de mon appartement. Une main plaquée du côté de la poignée et de la chaîne, je plante mon autre paume de l'autre côté de son visage, contre le bois. La faisant fictivement prisonnière, je serre les dents, ravalant un peu de salive pour me contenir. « Tu m'expliques ? », je lui envoie telle une collision frontale inévitable. Mes yeux sont à la portée des siens, en hauteur, dans lesquels elle peut deviner que le silence ou l'espièglerie ne rendront pas sa visite plaisante. Elle peut toujours se courber, se délivrer de ma présence et partir se réfugier dans ce canapé qu'elle commence à connaître dans les moindre recoins, pour éviter une colère que je retiens mais qui est bien présente. Sous la forme d'une incompréhension. Elle sait toutefois qu'elle aura du mal à s'en aller de chez moi sans un seul mot d'explication sur le pourquoi du comment.

Dans aucun registre la précision n'est mon point fort. La communication ne fait pas partie des exceptions à la règle, et j'écoute la jeune blonde me décliner ses perceptions sur ce qui a animé ses deux derniers jours. Aux premières nouvelles, je me repens d'avoir focalisé mon attention sur la force de persuasion réservée à Astra plutôt que sur l'état global de ma protégée. Aveuglé, j'ai manqué de voir cet os qui a trinqué sur la patinoire alors qu'Astra s'est fondue tel Jerry pris au piège par Tom ou Titi par Grosminet. Je ne suis que son dos délesté de son fardeau passer le long du frigo puis rejoindre la pièce centrale de l'autre côté de la séparation me coupant tout ce qui pourrait clocher plus bas que son buste et ses coudes. Puis tout quand Astra décide de s'affaler dans le trois-places face à la télévision. Pris d'une légère culpabilité suite à la question bateau que j'ai omis de poser et qui cette fois aurait été la bienvenue, je m'assieds d'une cuisse su le rebord de la table de l'espace cuisine, le plus proche de l'entrée. Son débit ne cesse, de l'autre côté du demi mur, sauf qu'une légère coupure intervient. « Shhhht », je souffle entre mes dents qui se desserrent lentement, levant un index quelques centimètres devant ma bouche, seul à le voir se dresser dans le vide mon front penché sur l'extrémité de sa phalange la plus haute. Quand elle me parle de ses problèmes de cachets, j'essaie d'abréger le conversation et de la réorienter avant qu'Astra ne panique. Elle a commencé à dévier déjà, malgré qu'elle gère de mieux en mieux ce sujet-là, avec une platitude qui m'oblige à me mouvoir jusqu'auprès d'elle. « C'est bon, on déstresse. », je lui dis alors que ça vaut presque autant pour moi que pour elle.

Désormais assis sur l'accoudoir contre lequel Astra cale ses pieds, j'inspecte de loin son membre victimisé. « Comment tu t'es fait ça, toi. Uh, pas sérieux. » Je replante mon regard dans le sien, mais ne parviens pas à lui communiquer ce savon que je voudrais lui passer pour se retrouver avec cette bête blessure gênante. La fibre paternelle, je ne l'ai pas vraiment. Pour la fraternelle, je suis encore loin de mon maximum, mais je me débrouille pour l'instant; je le fais à l'instinct et au spontané, sans prendre de gants ni ronger mon frein. Je ne me souviens pas que cela ait porté un jour préjudice à notre relation depuis la peur bleue que j'ai filé à ses parents, alors je présume que je m'en sors pas mal. Surtout qu'elle a l'air de ne pas trouver l'ennui trop présent dans mon appartement où elle se trouve encore aisément une occupation entre le déballage de paquet de chips, la mise en route d'un DVD ou la vision d'une série. Ou encore rien de mieux que de la discussion encore et encore. Ce qui ne me déplaît pas, moi qui aime ralentir par moments. Selon les débats évidemment qui peuvent rapidement me prendre le chou et finir sur des conclusions inachevées. Astra est assez grande pour ne pas que je doive lui ouvrir une panade et la nourrir à la cuillère. Pour ça comme pour d'autres choses : « Tu sais que tu n'as besoin de personne pour patiner. Tu apprends très bien toute seule et à ton rythme. Avec des .. » Je bloque sur le terme que je pourrais utiliser afin de qualifier sa nouvelle "prof" de glace. « C'est pas des gens qui tiennent une attraction publique qui vont t'aider à t'améliorer, ma grande. » Certes, j'ai peut-être une opinion hâtive à propos de certains individus que je ne connais parfois ni d'Eve ni D'Adam, mais mon intuition ne m'a que rarement fait défaut.

Moi l'agresser elle ? Si je tenais vraiment à ce qu'il en soit ainsi, Astra ne serait pas les orteils en éventail dans un salon qui se trouve à dix mètres d'une entrée où je ne l'aurais pas aussi facilement laissée passer. Verbalement, j'étais davantage dépité qu'agressif, en témoigne le soupir que je lâche suite à sa répartie et son explication sommaire sur les circonstances de sa blessure. La question de savoir si j'étais gêné ne se pose pas; ca se lit en long et en large sur mon visage.  « Je cherche à comprendre depuis quand tu choisis d'améliorer ta glisse sous les conseils de la première personne venue que tu croises sur une patinoire publique. » J'inspecte son air et le mouvement de ses sourcils qui semblent perplexes face à ma position, et poursuis à la vue de son bras en écharpe : « En plus, regarde le résultat que ça donne. Honnêtement deux secondes, tu réfléchis aux causes et conséquences là ? Tu fais le lien ? Tu connais quelqu'un qui est spécialisé dans le même domaine que le tien depuis des années, et un beau jour tu décides de confier ton avenir sur la glace à .. je sais pas ... cette femme. » Ma voix saute un peu, ce qui n'échappe pas à la blonde confortablement installée dans ce canapé où il ne manquerait plus qu'elle fasse une taille mannequin pour devoir poser ses talons sur l'accoudoir et ainsi m'empêcher de m'y asseoir. Elle perçoit que le malaise est plus nuancé que cela et se jette sur la faille que je laisse entrevoir. Jaloux, je n'en sais rien, mais j'apprécie peu qu'une inconnue ait autant d'influence sur quelqu'un pour qui je suis là. Je ne suis vraiment pas adepte de cette décision, dans les faits. Toutefois, Astra est majeure et même si je voulais poser mon véto sur quoi que ce soit je n'aurais aucune légitimité. Je ne réponds pas aux questions d'Astra qui enchaîne à son tour avec des arguments indémontables. Et pourtant, il y aurait tant d'autres pistes possibles. Je m'incline sur la conception de son perfectionnement, en émettant cependant une réserve. Car je n'aime pas devoir admettre que j'étais celui qui a pensé de manière trop égoïste, à croire que ma vision serait la seule admissible. « Ne compare pas ce qui n'est pas comparable, Astra. Mon entraineur n'est pas aussi cute que le tien », tente-je d'apaiser la tension palpable qui s'élevait doucement entre nous. Puis de me comporter de manière réservée mais enjouée. « J'sais pas, tu vois. On fait comment avec une seule paire d'yeux pour admirer à la fois la patineuse et son entraîneuse ? » Quoi ? je l'ai dit tout haut ? Arf. Prise de conscience, derrière laquelle je sors une expression super malicieuse, droit dans le regard d'Astra.