Aroyel } Watch her, washer

Le paradoxe dans ce bar, c'est que je suis le moins accosté lors des soirées avec les plus grandes affluences. Presque incompréhensible, à part si on part du principe qu'à foule croissante l'anonymat et la discrétion devienne également plus important. J'ai la paix pour profiter de mon gin tonic cette fois-ci, sans enquête d'envergure sur les récents événements survenus à Montana ni sur les cours théoriques en rapport avec mon domaine de prédilection : le hockey. Je peux me permettre de respirer, d'envisager mon planning du lendemain sans être interrompu dans mes pensées, bien assis sur l'une de ces chaises hautes toutes prisées à flanc de comptoir. Ca discute beaucoup que les voix faiblardes doivent s'affermir pour se créer une place dans les échanges autour des tables. Peu sont libres, mais il y en a tout de même. Voir cet établissement complet n'est arrivé de mémoire qu'à deux ou trois occasions, dont le traditionnel 4 juillet de chaque année où personne ne célèbre l'Independence Day seul enfermé dans ses quatre murs. Les lieux se désemplissent à peine lorsque je décide qu'il serait sage de rentrer me poser dans mon canapé. Je remercie le tenancier et lui souhaite une bonne fermeture d'un geste de la main, avant de me faufiler vers la sortie. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, impossible de relancer un nouveau cycle d'essorage ! Bien ma veine ! De passage à proximité d'une table, l'emportement d'une femme me retient. Comment ai-je perçu si clairement ses mots ? Peut-être que le volume sonore redescendu d'un ton a-t-il permis à ce que sa voix devienne la plus audible de ce côté-ci de la salle. Je fais le lien entre le sujet qui la tracasse et une péripétie qui m'est arrivée pas plus loin qu'il y a une dizaine de jours. Alors je bifurque pour accoster cette table sans savoir lequel des visages féminins à exprimé son énervement, pour les regarder tous les uns après les autres. « C'est quel type de machine à laver ? J'ai récemment eu un soucis avec la mienne, donc si jamais je peux dépanner. On ne sait jamais. » Si j'étais sur le point de faire ma bonne action de la journée, ce serait tout bénéfice pour mon karma. Une jeune femme en détresse devant un soucis ménager ne vaut pas moins que la veuve et l'orphelin abandonnés à leur triste sort. Juste un peu. Et encore, tout est question de perspective. Je n'ai pas encore réalisé mon geste salutaire en ce jour, alors cette citadine à l'apparence sociale bien développée fera l'affaire.

Une journée passée chez moi, coincée avec une machine à laver. Un bruit étrange et plus rien ne fonctionne. Je me retrouve embêtée, l'incapacité de comprendre d'où vient le souci, ni même de comment le résoudre. C'est bien la première fois que je fais face à un tel souci. Au téléphone, je tente de contacter des réparateurs, mais ils ne peuvent pas passer dans la journée. Me voilà bien embêtée. Je soupire, souffle, cherche le problème, mais il faut que je fasse face à  réalité, je n'y connais strictement rien. J'ai passé des heures devant ma machine à laver, j'ai l'air maligne, à tourner en rond comme un chien cherchant à attraper sa queue. Le problème est resté irrésolu. Je finis par abandonner, j'ai des projets pour la soirée, je me pencherai sur la question demain ou bien, je partirais en quête d'un réparateur disponible pour mes problèmes, se retrouver sans machine à laver, c'est un souci, comment vais-je faire? Je ne songe même pas à aller laver mes petites culottes dans un de ces lieux publiques mettant à disposition des machines à laver. Hors de question. En acheter une nouvelle? Cela ne faisait pas parti de mes priorités jusqu'à présent. Je laisse cela de côté, je ne vais pas me tracasser plus longtemps pour cette fin de journée. Mes amies m'attendent, je ne dois pas perdre plus de temps.

Installée à une table, un verre à la main, une agréable sensation de détente parmi ce groupe d'amis, mais le souci demeure. Ma machine à laver en rendu l'âme, en quelque sorte. Lorsqu'on me demande comment c'est passée la journée, je ne pouvais pas ne pas en parler, j'ai après tout passé une bonne partie de l'après-midi devant ce casse tête. Ce dont je ne m'étais pas rendu compte, c'est d'avoir parlé assez fort pour me faire remarquer par un client passant à mon côté. « C'est quel type de machine à laver ? J'ai récemment eu un soucis avec la mienne, donc si jamais je peux dépanner. On ne sait jamais. » Détournant mon regard, je dresse mon visage sur l'homme venant de prendre la parole. Je ne pouvais pas m'empêcher d'esquisser un petit sourire à la vue de son visage « Vous êtes un expert en machine à laver? » Ou est-ce un moyen comme un autre d'aborder une personne du mieux qu'il peut? En tout cas, s'il est capable de réparer celle-ci, je suis preneuse « J'ai passé la journée dessus, un peu d'aide est toujours la bienvenue » Je l'observe des pieds à la tête, tant que ce n'est pas un grand psychopathe assassin.