Mess'Bass ⍾ Hasn't Happy Hour started yet?

Cette journée ressemble à celles qu'on aimerait éviter d'accumuler; pour contourner ce train-train qui lentement s'installe dans son quotidien jusqu'à coller à nos draps, jusqu'à s'incruster dans les anneaux du rideau de douche, jusqu'à être plus tenace que des résidus accrochés à la taque de cuisson bien après le repas. On n'en tirera rien d'intéressant tout au long, alors on laisser couler ce sablier qui épure toute sa partie supérieure de ses grains de sable conviés vers le bas. Je choisis toujours de les achever au bar à quelques rues de chez moi, celui que je trouve le plus accueillant avec ce patron et ces barmaids qui excellent dans l'art de ne pas te prendre la tête le soir où t'as envie de tout sauf d'être emmerdé pour des queues de cerises.

Mon gin tonic sous le nez, des têtes j'en vois assez dans ce pub que pour me satisfaire de me prendre la mienne. Et il y en a en tous genres : des mines sombres, réjouies, déconfites, timidement grisées par l'alcool ou très marquées par les consommations; des têtes sympathiques, des têtes à claques, des visages familiers, des habitués des lieux, et d'autres qui ne nous disent rien. Mon regard s'arrête sur l'un de ceux qui se situe à mi-distance entre le souvenir et l'inconnu, également à l'opposé du comptoir. C'est un visage féminin qui met du temps à me revenir. Entre-temps, je fais un bien agréable constat concernant cette ville : une femme pareille, seule dans un bar, et personne pour venir lui compter quelconque talent ou situation extrêmement valorisante; ca sent vraiment Montana pour que paix lui soit laissée. A Denver, plus d'un se serait déjà planté à ses côtés, lui adressant de faux sourires contagieux ou collant la bouche à son oreille pour l'inviter à entrer d'un bon ton dans une discussion censée déboucher sur autre chose. A Dallas aussi. Même chose probablement à Michigan, peut-être avec des manières farouchement opposées. Mais pas à Montana, la ville sûre, où pour chercher les ennuis, il faut s'attacher à les provoquer avant de les trouver.

Son nom ne me revient toujours pas, mais j'ai mis le doigt sur le où, le quand et le comment d'un seul coup : les années High School, ce qui explique pourquoi j'ai trouvé plusieurs éléments à la fois. Helen ou un prénom du genre, je me rappelle vaguement avoir été pendant plusieurs années dans la même classe pour obtenir notre diplôme et ensuite voir nos chemins séparés, comme toute notre promotion cette année là. Partir à l'autre bout du pays impliquait inévitablement de rompre le lien avec tous les camarades que j'aurais pu fréquenter durant mes années d'enseignement secondaire. Le flash back dissipé, je réatterris face à l'intendant du jour. Je l'interpelle pour qu'il se penche avec son torchon dans les mains, affairé à lustrer un verre à mojito. Quand je lui demande si la fille à l'autre bout, sans devoir la pointer du doigt, a payé son dû, il me répond par l'affirmative. Plan B rapidement monté : je glisse un billet de vingt dollars au barman et conviens d'un petit service. « En mémoire de deux adolescences à Cheyenne », me répète-je sur ce qu'il doit dire si la demoiselle recommande encore ce soir, dont la dette sera désormais pour moi. Si pas, tant pis, l'argent ira dans les caisses de l'établissement. Tout bénéf pour le tenancier. Mes glaçons bien seuls, j'aligne un autre billet et réclame un nouveau gin tonic d'ici à ce que ça s'anime à l'autre bout du monde.